Des Mythes et des Dieux

Publié le 14/05/2020

« Il ne faut pas prendre la Bible au pied de la lettre… Il ne faut pas lire la Bible au sens littéral », c’est la réponse de certains croyants, lorsqu’on les place en face d’un verset problématique, scientifiquement absurde, historiquement faux, ou moralement indéfendable.

Cet argument est très souvent utilisé dans le cas de l’Ancien Testament, l’utilisation des paraboles étant clairement annoncée dans le Nouveau Testament, ce qui laisse beaucoup moins de place à l’ambiguïté.

Mais, dans ce cas, si les pouvoirs magiques de Jésus sont acceptés de manière littérale par ces chrétiens, pourquoi s’en dédouaner quand il s’agit de l’Ancien Testament ?

Jésus engendré par l’esprit saint dans une vierge ? Pas de problème, Dieu est omnipotent, il peut le faire.
Jésus marche sur l’eau ? Pas de problème, Dieu est omnipotent, il peut le faire.
Jésus change l’eau en vin, crée des petits pains ex-nihilo, soigne des tares incurables rien qu’en les touchant ? Jésus ressuscite Lazare ? Jésus qui se ressuscite lui-même ?

Pas de problème, Dieu est omnipotent, il peut le faire.

En revanche, Dieu qui crée la Terre en 6 jours, avant le Soleil, le premier homme à partir de poussière ? Ah, là non, ça ne fonctionne plus ! Ici, on aurait affaire à des métaphores.

Mais pourquoi devrait-on accepter littéralement les miracles de Jésus et renvoyer ceux du dieu de l’Ancien Testament au rang des métaphores ?
Contrairement aux paraboles de Jésus, qui sont clairement annoncées, aucun indice n’indique que la Genèse ou le reste de l’Ancien Testament seraient métaphoriques. Les habitants de la Galilée autour de l’an zéro auraient accepté l’histoire d’un charpentier qui ressuscite les morts, mais pas celle du serpent qui parle ?

Pour qu’il y ait des métaphores, il aurait fallu que ce soit l’intention des auteurs. Une métaphore consiste à construire une image dans le but de la substituer au récit factuel afin de lui donner un éclairage différent, et faire mieux comprendre son message. Mais comment savoir si les auteurs pensaient littéralement ce qu’ils écrivaient, ou s’ils enfilaient les métaphores ?

Disons-le clairement, la plupart des chrétiens ont tranché la question. Selon leur degré d’orthodoxie, ils pensent soit que les récits de l’Ancien Testament reflètent une réalité historique, soit que la Bible s’est trompée, et ils s’arrangent avec ça comme ils peuvent. A aucun moment la Genèse ne se dit métaphorique. Elle prétend décrire avec précision la création du monde. Elle va même jusqu’à donner la généalogie des hommes, généalogie qui sera reprise dans le Nouveau Testament, de Jésus jusqu’à Adam.

Un exercice édifiant consiste à comparer ce texte avec les croyances qu’on retrouve autour de la même période. La mythologie mésopotamienne, bien antérieure à la Genèse, ou la mythologie grecque, dont les racines sont elles aussi plus anciennes.

Pour commencer, qu’est-ce qu’une mythologie ? C’est l’ensemble des mythes et légendes mettant en scène des créatures surnaturelles, dans des situations plus ou moins inspirées de la réalité. A travers ce corpus de mythes et légendes, les mythologies visent à expliquer le monde, son origine, ses phénomènes naturels, l’histoire de certains peuples, les structures sociales, etc… Une cosmogonie.

En plus des dieux, des monstres et d’autres créatures surnaturelles, les mythologies utilisent beaucoup la figure du héros – souvent un humain à qui les dieux ont accordé un ou plusieurs pouvoirs surnaturels - les dieux sont généralement à l’origine de tout ce qui leur arrive au fil des récits de la mythologie.

Cela étant dit, qu’est-ce qui différencie les récits de l’Ancien Testament de ceux des autres mythologies ? Ici aussi, nous trouvons également des tentatives d’explications de l’origine du monde, de l’Humanité et de l’histoire du peuple hébreu.
Qu’il s’agisse de la Genèse ou de la mythologie grecque, ces récits sont le reflet des interrogations d’une humanité plus jeune de trois mille ans, perdue dans un monde qui la dépasse. Ce fait explique la structure sensiblement similaire de toutes ces mythologies.

Comparons par exemple la Genèse à la mythologie grecque (antérieure et probablement inspirée en partie des mêmes mythes) ou égyptienne (assez différente des deux précédentes).

- Au commencement, il n’y avait rien d’autre qu’une entité plus ou moins définie – le chaos chez les Grecs, Dieu dans la Genèse. Cette dernière crée la Terre.

On note ici le caractère autocentré de ces mythes qui envisageaient difficilement que la Terre pût ne pas avoir été la première dans l’ordre d’arrivée, l’univers ayant été créé pour les humains.

- Pour l’Égypte, il y avait à l’origine une étendue d’eau, Noun, d’où serait sorti le créateur Atoum. Cette étendue d’eau primordiale se retrouve également dans la Genèse, verset 1.2 - « Et l'Esprit de Dieu planait à la surface des eaux. » - existant avant même la création de la lumière.

- Vient ensuite la séparation du jour et de la nuit (provenant du Chaos en Grèce, du verbe de Dieu dans la Bible).
En Égypte, la création du jour et de la nuit est liée à la mise en mouvement du Soleil. Le cycle jour-nuit n’est donc pas indépendant du Soleil, contrairement à la Bible où ce dernier est créé dans un second temps.
La mythologie égyptienne est donc plus juste que la Bible. Ce qui démontre au passage que la métaphore ne justifie pas l’erreur.

- Création des cieux et de la Terre comme des entités distinctes.

En Grèce, la Terre, Gaia, enfante le Ciel, Ouranos. Dans la Bible, le ciel apparaît également après la Terre.
En Égypte, Geb, la Terre, et Nout, le ciel, sont frère et sœur et créés conjointement.

Bien entendu, les humains de l’âge du bronze n’avaient aucune idée de la nature du ciel. Rien d’étonnant, donc, qu’aucun de ces mythes ne tombe juste... Pour cela, peut-être eut-il fallu qu’ils fussent écrits par des divinités. Un exemple parmi d’autres, dans la Bible, le ciel est décrit comme solide, retenant des eaux de pluie au-dessus de lui.

Continuons notre comparaison de genèses :

- Création du Soleil après la Terre dans les mythologies grecque et biblique (pour cette dernière, le Soleil et la Lune sont créés au quatrième jour, après le ciel).
Alors que la mythologie égyptienne, plus chanceuse, situe la création du soleil avant celle de la Terre.

- Création des hommes, à partir d’une matière inanimée, dans laquelle un dieu insuffle la vie. De la terre dans la mythologie grecque ou dans la Bible, des larmes du créateur dans l’égyptienne.

- Mythe de la première femme (Pandore ou Eve), qui cause la chute des humains.

- Destruction des humains – déluge en Grèce ou dans la Genèse, par le feu en Égypte.

Ce ne sont que quelques similitudes parmi de nombreuses autres que nous ne listerons pas plus ici. Mais il s’en dégage clairement que les hommes avaient des idées similaires quand ils imaginaient leurs mythes. Des idées qui reflétaient les connaissances limitées de populations qui n’avaient d’autre explication que « c’est Dieu », ou « ce sont les Dieux qui ont fait ça ».

Mais, au-delà des similitudes dans les détails de la cosmogonie, nous pouvons encore noter d’autres similitudes dans la structure même des récits :

- Des héros, servant de modèles, qui sont généralement des humains auxquels les dieux donnent des pouvoirs, par exemple une grande force. Ainsi Achille, rendu invulnérable par Thétis ou, dans la Bible, Samson, doté par Dieu d’une force herculéenne. Moïse, dans une certaine mesure, pourrait également être assimilé à l’un de ces héros dont la destinée est orchestrée par un dieu.

- Des monstres et autres créatures surnaturelles. Des géants chez les Grecs, mais aussi dans la Bible. Des animaux qui parlent. Pourquoi pas, rien n’est impossible à Dieu. Le serpent comme créature maléfique dans la Bible et en Égypte (Apophis).

- Des Dieux s’accouplant avec des humains. Le dieu Dionysos est le fils d’une humaine, fécondée sans relation charnelle par Zeus. Le dieu Jésus est le fils d’une humaine, fécondée sans relation charnelle par Dieu.

- Jésus est un demi-dieu, comme dans les autres mythologies. Dionysos est d’ailleurs également un dieu qui meurt puis ressuscite.

Autre point très important, le Dieu créateur du Monde et de tous les hommes ne s’adresse jamais qu’à un seul peuple, très localisé. Osiris est le roi d’Égypte, et seulement d’Égypte. Dieu s’adresse aux Hébreux, et seulement aux Hébreux. Aucun autre peuple n’a entendu parler de ce dieu autrement que comme « le Dieu des Égyptiens » ou « le Dieu des Hébreux ».

Ce qui n’a de sens que si chaque peuple imagine son ou ses dieux de la même manière, comme le seul et unique dieu, véritables créateurs de la Terre. La Bible ne fait pas exception.

Une analyse objective et critique la réinstalle inévitablement dans son rôle et sa nature : un recueil structuré de mythes à visée sociale et politique (dans le sens premier du terme), de même teneur que ceux qu’on retrouve dans d’autres mythologies dont on peut même déceler des éléments directement importés.

La Genèse, notamment, et sa suite, ne montrent aucune particularité les distinguant. Uniquement les spéculations limitées par des observations d’humains primitifs imaginant la création d’un monde qui leur échappe. À aucun moment la Genèse ne dit quoi que ce soit qui démontre qu’elle ait été inspirée par un dieu. Pas plus que la naissance de Zeus.

Quels que soient les messages que vous voyez dans la Bible, il n’y a aucune raison de penser qu’ils n’ont pas été imaginés par des humains et uniquement des humains.

Il n’y a rien qui distingue objectivement ces écrits d’une autre mythologie.