[Comment j'ai quitté ma religion]
VI - Lisa

Publié le 27/10/2019 - mis à jour le 29/12/2019

Le parcours de Lisa, au fil de ses doutes, des Témoins de Jéhovah jusqu'à la liberté.

Je suis née dans une famille de Témoins de Jéhovah. Pour ceux qui ne connaissent pas, les Témoins de Jéhovah se voient comme une « religion totale ». Toute la vie d’un membre doit être tournée vers sa religion. Le concept de « témoin de Jéhovah croyant, non pratiquant » n'a aucun sens. Soit on vit en conformité avec ce que demande les textes bibliques, soit on sort. Il n'y a pas de juste milieu.

Mes parents étaient croyants et respectaient tous les principes. Nous allions en « prédication » (porte à porte, téléphone, courrier, présentoir mobile) toutes les semaines, aux réunions 3 fois par semaine (ils ont réduit la fréquence depuis, maintenant il n'y en a plus que 2), mais aussi aux « assemblées », des rassemblements de plusieurs milliers d’adeptes. Ces manifestations ont lieu 3 fois par an et peuvent durer plusieurs jours.
C'est dans cette ambiance extrêmement religieuse que j'ai baignée toute ma jeunesse. J'étais croyante mais ma foi était superficielle, c'était une sorte de vernis religieux qu'on avait déposé sur moi et que je n'avais pas osé enlever.

A l'adolescence, j’ai subi une pression insidieuse pour que j'accepte le baptême et que je rejoigne officiellement le mouvement. Un enfant de Témoins de Jéhovah qui ne se ferait pas baptiser serait progressivement mis à l'écart des autres adeptes. Il n'aurait aucun espoir de se marier (tout mariage avec quelqu'un d'extérieur au mouvement provoque presque automatiquement votre mise à l'écart). Donc j'ai suivi le courant, je me suis fait baptiser. Bien moins par foi que pour continuer à faire partie du groupe.

Ainsi j'étais officiellement devenue un témoin de Jéhovah ; pourtant ma foi n'était pas plus forte. Je croyais en Dieu, mais c'était une croyance par défaut. Elle restait là faute de l’avoir vraiment questionnée.

Mon premier doute est venu de la lecture. C'était l'un des rares espaces de liberté que mes parents avaient su préserver malgré la religion. C'est ma mère qui m'a transmis ce goût pour la lecture.
Le livre « La Croisée des Mondes » de Pullman, son message anticlérical et anti-chrétien m'a beaucoup marqué à l'adolescence. De nombreux parents Témoins de Jéhovah ne laisseraient jamais leurs enfants lire ce genre de roman. Même l'inoffensif Harry Potter est banni. La magie au centre de ces romans est associée au diable.

Ensuite, c’est l’absence de culpabilité face à mes péchés qui m'a révélé en creux mon manque de foi. Si Dieu existait vraiment et qu'il voulait que je suive ses préceptes, il devrait faire en sorte que je sois tourmentée par mes manquements. Mais ce n’était pas le cas, bien au contraire, et je me sentais plus libre et plus puissante à chaque faute.

L'école a aussi été source de doutes, en particulier l'enseignement de la théorie de l'évolution. J'avais fini par développer une sorte de double personnalité, partagée entre ce qu'on m'enseignait à la maison et la Salle du Royaume (lieu de réunion des Témoins), et ce que j'apprenais en cours de SVT. En contrôle, je ressortais les principes de la sélection naturelle que j’avais appris mais je restais créationniste.

Les Témoins de Jéhovah sont des créationnistes dit « de la Terre vieille ». Le mouvement rejette la théorie de l'évolution mais n'affirme pas que la Terre a 6000 ans, comme le laisse entendre une lecture littérale de la Bible.
Ils préfèrent voir une métaphore dans le verset de la genèse qui indique que Dieu a créé le monde en 6 jours. Pourquoi cette prise de distance avec le texte sacré ? Pour mieux coller avec les découvertes scientifiques modernes ? Je n’arrivais pas à trouver ça crédible et, dans ma tête d'adolescente, les doutes grandissaient.

Et ils ont continués de grandir avec la découverte de ma propre homophobie. Tout mon entourage était clairement homophobe. J'ai baigné dedans toute ma jeunesse et, naturellement, ça a déteint sur moi. J'en ai pris conscience en regardant la série Glee. Ecrite par un homme gay, elle abordait la question de l'homosexualité de façon totalement nouvelle pour moi.
Ensuite, j'ai passé beaucoup de temps à me renseigner sur le sujet. C’est ce qui m’a permis de réaliser l’horreur de mon mode de pensée. J’ai eu extrêmement honte de moi. Je ne pense pas avoir jamais blessé une personne gay par des mots d'ignorante mais je n’en suis pas sure. Et ça me désespère. Même si je n'en ai parlé à personne à l'époque, ce refus de l'homophobie a marqué une distance supplémentaire avec l'enseignement des Témoins de Jéhovah. 

A 21 ans, j'ai fini par quitter le foyer familial pour aller vivre dans une autre région. Un éloignement qui a catalysé mon « travail » de déconstruction déjà entamé bien avant.  J'ai alors rencontré un homme athée. Plus tard, il est devenu mon compagnon. Avec lui j'ai analysé tout ce qui clochait dans la Bible et il y avait beaucoup de choses. Un point me paraissait encore moins défendable que le reste : les massacres d'innocents cautionnés par Dieu.

Après cela, j'ai officiellement quitté le mouvement des témoins de Jéhovah. Je suis devenu apostat. Et pour les Témoins de Jéhovah, l'apostat est la pire personne sur Terre. Selon leurs règles officielles, cela fait immédiatement de vous un paria.
À la suite de mon excommunication, ma sœur ne m'a pas parlé pendant plus de 2 ans.

Aujourd’hui, la situation reste tendue avec mes parents mais on a trouvé un équilibre. Je ne parle jamais de religion avec eux, je sais que ça pourrait casser cet équilibre. Ils m'acceptent malgré mon excommunication.
La dernière fois que ma mère m'a demandé si je croyais en dieu, c'était il y a 5 ans au moins. A l'époque, ma réponse était positive. Aujourd'hui, elle ne me la poserait plus par peur de ma réponse. Elle sait mais préfère ne pas confirmer. Ça lui permet de concilier sa vie avec la mienne.

C’est bien compliqué tout ça, mais au moins je suis libre.

 

Propos reccueillis par Hérétique